Le Jour de la Commémoration de l’ Holocauste, plus tôt ce mois-ci, des policiers israéliens ont lâché de gros et méchants chiens sur un Palestinien âgé de 18 ans qui est le seul à subvenir aux besoins de sa famille dans le dénuement. Il travaillait dans un moshav à l’Ouest du Néguev, à la construction d’un poulailler. Quand les policers l’ont libéré des mâchoires des chiens, alors qu’il était blessé sur toutes les parties du corps, ils ont commencé à le tabasser et à lui donner des coups de pied à la tête. Ils l’ont ensuite emmené dans un commissariat de police et l’ont laissé, étendu là sur le sol, pendant toute une journée, à moitié nu, sa chemise déchirée, ses blessures non soignées . Ce n’est que tard dans la soirée qu’ils l’ont relâché. Ils l’ont emmené du côté palestinien du point de contrôle le plus proche et lui ont dit de sortir du véhicule. Il était couché sur le trottoir jusqu’a ce qu’un conducteur qui passait l’ait recueilli et l’ait amené dans son village. Il était près de minuit quand le jeune homme est arrivé à la maison – des voisins l’ont porté à l’intérieur, enveloppé dans une couverture. Sa mère a cru qu’il était mort.
Cet incident s’est entièrement déroulé il y a deux semaines, le jour où Israël commémorait officiellement l’Holocauste.
Les forces de sécurité du régime d’apartheid en Afrique du Sud utilisaient abondamment des chiens, en les lançant sur les Noirs. La police là-bas importait en fait des loups venant d’Europe et les croisaient avec des chiens pour créer une race particulièrement féroce d’animal d’attaque. La police et l’armée israéliennes ont toutes les deux importé d’Europe certains de leurs chiens d’attaque – le souvenir historique des régimes qui avaient l’habitude de lâcher des chiens contre les gens faibles et sans défense n’est apparemment pas un facteur de dissuasion. Pas même le Jour de l’Holocauste.
Le caractère symbolique est évident
Le fait qu’Assad Sharaheh ne se soit pas encore remis de son traumatisme émotionnel est visible dans son élocution difficile, son visage sans expression et ses silences. Ses blessures, dont beaucoup ont été causées par les dents des chiens et notamment au niveau de l’aine, ne sont pas guéries. Une grande cicatrice sur sa tête est le résultat des coups de pied qu’il a subis de la part des policiers.
Il est un beau jeune homme de 18 ans qui, après la mort de son père il y a 10 ans, est devenu le seul à assurer la subsistance de sa mère, Fariel, de ses deux frères et soeurs cadets (sur un ensemble de 10 enfants) et aussi de la famille de sa soeur, Asamaa, dont le mari, toxicomane, est incapable de subvenir à leurs besoins. Ses autres frères et soeurs n’habitent pas à la maison.
Cette maison de pauvreté est située dans un des quartiers les plus pauvres et les plus délaissés de la ville relativement riche de Dura en Cisjordanie, au Sud d’Hébron. Des ordures et des détritus sont éparpillés sur le chemin vers la maison ; la puanteur aussi est difficile à supporter. Il est évident qu’un effort est fait pour garder la maison aussi soignée et rangée que possible.
Sharaheh s’est réveillée de sa sieste de midi lorsque nous sommes arrivés le lundi. C’est le saint mois du Ramadan, et la chaleur dehors était oppressante ; les habitants du lieu essayaient de se reposer le plus possible, pour rendre leur jeûne plus facile. Il nous a salués, vêtu d’une galabiya, qui apparemment fait aussi office de pyjama.
Sharaheh a abandonné l’école à la huitième classe pour aider sa famille. Il a commencé à s’introduire en Israël à l’âge de 15 ans, en travaillant comme plâtrier. Il a été pris plusieurs fois. En raison de son jeune âge et de sa condition de célibataire, il n’a aucune chance d’obtenir un permis de travail en Israël en bonne et due forme. Au cours des quelques dernière semaines, il a travaillé à Rahat, une localité bédouine dans le Néguev, puis il est passé au Moshav Brosh, où il a été embauché pour construire un poulailler. Il dormait sur les chantiers de construction et ne rentrait à la maison que toutes les deux semaines environ.
Le 8 avril, Journée de la Commémoration de l’Holocauste, il s’est réveillé sur le chantier de construction à Rahat et s’est mis en chemin vers Brosh. Son projet était d’y travailler jusqu’au début du Ramadan, quatre jours après, et de retourner auprès de sa mère et du reste de sa famille.
Vers environ 8 h du matin, avant de commencer à travailler, il a pris un café à Brosh avec trois autres ouvriers palestiniens qu’il ne connaissait pas. Tout d’un coup il a aperçu un groupe de policiers qui arrivaient vers eux en courant. Ils se pointaient en venant de deux directions – il pense qu’ils étaient environ une vingtaine. Se précipitant à quelques dizaines de mètres devant ceux-ci, il y avait deux chiens terrifiants, sans muselière. Les trois autres ouvriers ont réussi à s’échapper ; il dit maintenant qu’il ne sait pas ce qu’il est advenu d’eux. Les policiers ont tiré en l’air pour les avertir et les faire s’arrêter ; il n’a pu courir que sur quelques mètres avant que les chiens ne se soient jetés sur lui. Ils l’ont fait tomber par terre et ont commencé à planter leurs dents dans sa chair, en le serrant de leurs pattes. Sharaheh criait de douleur et de terreur. L’attaque a continué pendant environ une minute, jusqu’à ce que les policiers rattrapent les chiens et ne les éloignent de lui.
Les policiers se sont mis alors à le tabasser, se rappelle-t-il, lui donnant des coups de pied à la tête et des coups de poings couverts de gants. Au cours de tout cela il était couché sans défense sur le sol. A un moment donné, tout a semblé devenir flou. La police a appelé une ambulance vers laquelle il a été porté sur un brancard, et où il a reçu quelques soins. Mais les policiers n’ont pas accepté qu’il soit transporté vers un hôpital – après lui avoir demandé s’il avait de l’argent pour payer les soins. Deux policiers masqués lui ont dit en arabe de ne pas avoir peur. Après avoir été examiné dans l’ambulance il a été emmené vers un commissariat de police, il n’est pas sûr de l’endroit, probablement dans la localité voisine de Ofakim.
Là on l’a fait s’allonger sur le sol dans une des pièces. Sa chemise était déchirée, ses blessures étaient ouvertes. il a déclaré qu’il avait demandé à être emmené dans un hôpital, les policiers lui ont dit qu’il serait libéré d’ici deux autres heures. Il ne savait pas combien de temps il était resté allongé, mais quand il s’est réveillé c’était déjà tard le soir. Il a demandé quelque chose à manger et on lui a donné du pain et de l’eau.
On a pris ses empreintes digitales et on l’a photographié pour le fichier des délinquants de la Police d’Israël. Dans la salle il se trouvait avec quatre autres ouvriers palestiniens, qui avaient été arrêtés le même jour et qui étaient menottés. Sharaheh n’avait pas les mains liées en raison de sa grave condition physique. On lui a donné un document en hébreu, qu’il n’a pas pu lire et on lui a dit d’y écrire son nom et de le signer. Il n’a aucune idée de ce que disait le document, personne n’a pris la peine de le lui traduire. Par la suite, un parent a dit qu’il avait peut-être signé une déclaration constatant que les policiers ne lui avait fait aucun mal.
Un policier au commissariat lui a demandé quelle était l’origine de ses blessures. « Ce sont vos chiens », a-t-il répondu. Il se souvient qu’ils étaient noirs-marrons.
C’était le soir quand il a été mis dans un fourgon de police en même temps que trois des autres Palestiniens qui s’étaient trouvés avec lui dans la salle. Les policiers les ont largués au point de contrôle de Meitar, dans la région de Hébron, et ils les ont laissés partir. Les autres se sont dispersés. Sharaheh s’est allongé sur le trottoir – affaibli, blessé, épuisé et en état de choc. Son portable avait été cassé la veille et il n’avait aucun moyen d’appeler sa mère.
Un chauffeur palestinien qui transporte les ouvriers vers le point de contrôle et qui les en ramène l’a remarqué, lui a demandé ce qui s’était passé et l’a conduit à Dura. Il est arrivé chez lui à 23 h 30. Sa mère était encore éveillée quand il est arrivé. Fariel, 53 ans, qui a connu sa part de souffrances, a tout d’un coup entendu crier dehors : quelqu’un, qui s’est avéré être le chauffeur, demandait une couverture. Quand Fariel est sortie et qu’elle a vu son fils enveloppé dedans, elle a pensé pour de bon que Assad était mort et que c’était son corps que l’on ramenait à la maison. Elle s’est mise à crier et à failli s’évanouir. « Qu’est-il arrivé ? Qui t’a frappé ? »a-t-elle crié quand elle s’est rendu compte qu’il était vivant. « Les chiens, les Juifs », lui a-t-il dit.
Sa mère a demandé aux voisins d’emmener son fils à la clinique du Croissant Rouge à Dura, mais là le personnel à refuser de le soigner et a recommandé qu’on l’emmène à l’Hôpital Alia à Hébron. De là il a été envoyé à l’Hôpital Ahli dans la ville, où il été examiné – il n’avait ni fractures, ni blessures profones. Apparemment les deux hôpitaux ont eu peur de le soigner par crainte de la rage. Il a ensuite été renvoyé à Alia ; le lendemain à l’aube il a demandé à rentrer à et a été autorisé à sortir.
Depuis lors Sharaheh n’a pas mis le nez dehors ; son rétablissement est extrêmement lent. Un chercheur de terrain travaillant pour l’association israélienne des droits de l’homme B’Tselem lui a rendu visite il y a 10 jours et a rapporté que son état de santé s’était aggravé et qu’il a péniblement répondu à ses questions. Cette semaine il a un peu parlé, mais l’effet du traumatisme est encore très apparent.
Un porte-parole de la Police d’Israël Israel a fait cette semaine la déclaration suivante à Haaretz : « les soldats de la Police des Frontières qui recherchaient une personne suspectée de préparer une action terroriste sont arrivés sur un chantier de construction où le suspect se cachait et ont remarqué un certain nombre de personnes qui s’enfuyaient. Pendant l’incident un suspect a été blessé et a reçu des soins médicaux prodigués par le personnel de Magen David Adom, qui avait été appelé à venir sur place. Après un examen médical qui a montré que le suspect était en bonne santé, il a été emmené au commissariat de Ofakim où il a été interrogé sur la suspicion de présence illégale dans le pays. Il a été ensuite expulsé (du pays) pour s’être trouvé illégalement en Israël ».
Va-t-il retourner travailler en Israël ? Pas sans permis d’entrée, nous déclare Sharaheh. Sa mère, qui a interrompu notre entretien à plusieurs reprises, a affirmé : « je préfère mourir de faim, tout sauf qu’il retourne là-bas ». Il nous a ensuite montré toutes ses blessures, l’une après l’autre : une morsure sur les deux côtés de la poitrine, une blessure au bras gauche et une cicatrice à la paume à la suite d’une morsure, des blessures sur les deux jambes,un gros bleu à l’arrière du cou provenant d’un coup de pied, ou peut-être d’un coup de poing. Finalement il baisse son pantalon et montre une petite, mais profonde blessure à l’aine, encore rouge et saignante à la suite d’une morsure de chien. Lors de la Journée de l’Holocauste.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, du GT de l’AFPS sur le prisonniers
Photo : Alex Levac